« Agnès ? Voilà. Laurence est décédée ce matin,
« Agnès ? Voilà. Laurence est décédée ce matin, il y a deux heures. »
Cest fini. Elle ne respire plus. On va la ranger dans une boite en bois, on va la poser au fond dun trou bien noir. On va refermer le tout et continuer la vie.
Moi, je nirai pas à lenterrement. Ce nest pas de lirrespect pour elle. Je ne veux pas voir le visage de ses proches, de ses filles. Je ne veux pas embrasser des joues inondées de larmes, je ne veux pas croiser des regards emplis de souffrance. Jaccepte ma lâcheté face aux réactions de ceux-là. Parce que le plus dur, cest bien pour ceux qui restent.
Ce nest pas tant le temps qui passe, mais bien la mort qui est au bout qui me dérange, moi aussi. Tout à lheure, javais collé les mômes dans le bain et je me suis installée dans le jardin, encore en pyjama. La chaise était glacée, comme le ciel gris laiteux qui nous recouvre aujourdhui. Et jai pensé quil y a quelques années, jaurais sans hésitation couru au devant de tous ceux qui lont entourée jusquau bout. Jaurais récupéré les pitchounettes, jaurai proposé mon aide pour aménager leur nouvelle vie, je naurais pas pensé, je serais restée dans une certaine insouciance, parce quà moi, ça narrivera pas.
Aujourdhui, jai gravi plusieurs marches et je me rapproche un peu plus de ce nouveau possible. Lapproche de la quarantaine, cest une nouvelle façon de voir que la vie passe encore plus vite que cela, et quil ne faut rien rater parce que demain, cest banal, et tout peut sarrêter. A cet âge, les parents des copains, ou les siens dailleurs, sont à des âges où le cancer crame tout sur son passage. Et ces papas-mamans, qui nous emmenaient à la foire aux plaisirs ou nous préparaient des chocolats chauds les soirs dhiver, ces gens-là séteignent brutalement dun arrêt cardiaque ou de longues maladies sans lendemain.
Et ça fait réfléchir tout cela. Surtout quand des têtes blondes buttent sur une leçon de grammaire à la noix et quelles ne comprennent pas pourquoi on ne prend pas le temps de jouer plus. Parce que demain, mon organisme jeune, jolie machine humaine, peut bien révéler une sacrée défaillance et déserter le monde dici-bas, sans avoir pour autant terminé ma tache la plus fantastique : amener mes enfants à lâge adulte.
Alors, les boucles doreilles sont certainement très
acérées, mais elles nen restent pas moins des boucles doreilles, des objets,
que je peux choisir de conserver dans une boîte ou tout simplement de jeter à
la poubelle. Parce que de toute façon, ce matin, quand jai ouvert les yeux,
jai vu le dos large de mon homme, qui dormait paisiblement, conférant à notre
lit, une douceur dêtre ensemble, à partager le quotidien et à se réveiller
dans le même endroit.
Voilà. C'est encore les vacances. On a fait du feu dans la cheminée. On
s'est levé très tard. On est tout décallé. Mais on est bien tous
ensemble.
Jécris. Je continue. Demain, je recommencerai.