Pour que la nuit ne s'éteigne pas encore...
Un truc écrit il y a quelques semaines... Comme ça.
Ce soir, jai poussé la
porte avec mon sachet plastique contenant une queue de lotte. Jai ôté mes
chaussures, enfilé mes chaussons. Jai regardé dans la cuisine, personne, puis
dans le salon. Il était là, figé sur notre canapé usé, matant la télé,
immobile, comme un meuble. Je lui ai jeté en pleine figure mon poisson tout
frais, le coup la assommé et il sest affalé comme une vieille chaussette, un
filet de bave sanguinolent au coin de la bouche, les membres tressaillant de
derniers soubresauts.
Mort. Enfin ! Il était
là avec les yeux vitreux comme du poisson pas très frais finalement, se
ratatinant comme une araignée salle qui vous a hanté des soirées entières et
qui tient à peine dans une feuille de papier toilette.
Puis tranquillement, jai
repris le cours de ma préparation, coupant soigneusement des petits dès de
concombre, de tomates et de poivrons multicolores. Jai rebranché le cours de mes
pensées, refaisant les rayons de mon frigo, les étagères de mon placard,
vérifiant ma liste mentale de toutes ces menus choses qui rentrent dans le
fonctionnement de la ménagère
banale.
Un enfant riait encore dans
son bain tiède, une autre jouait dans sa chambre. Le chat miaulait parce quil
avait faim.
Jai encore jeté un coup
dil dans le salon.
En fait, il navait pas
bougé de place et attendait que son assiette soit pleine. Et moi, pauvre
idiote, jécrivais dans mon esprit ces mots, ces phrases de haine.
Tout à lheure, cétait
quasiment la même chose ; javais juste dit tout haut ma réflexion de
linstant, à savoir, oh, zut jai oublié le poisson à la caisse. Poisson acheté
pour que Môssieur puisse sadonner à un peu de passe-temps : nous cuisiner
un truc oh combien délicieux.
Réplique immédiate :
ma femme est naze et a une case en moins.
Jai implosé
intérieurement, contenant difficilement un raz de marée qui allait nous
submerger. Jaurais du lui répliquer, un truc, comme lui, vache, pas propre,
mauvais, nauséabond. Jai juste pris lair, lair de rien, lair de récupérer
mon erreur, les quelques euros ainsi gaspillés.
A Inter, la nana de laccueil a été
parfaitement chouette. Elle navait évidemment pas retrouvé le poisson
empaqueté mais ma offert gentiment (avec lautorisation de son boss) une
nouvelle portion toute fraîche, et dans mon désarroi, jai retrouvé un peu de
soleil.
Jai pas attendu toutes ces
années pour constater cette haine, souvent je la comptabilise, un peu comme on
compte les moutons pour sendormir dans les nuits tardives. Le lendemain jai
déjà oublié, jai choisi soit le néant soit de bien ranger mes bombes à
retardement.
Toujours, je repars au bureau après
avoir réussi le marathon de tous les matins :
- avaler un café, les presser, les poser à lécole,
- griller les feux oranges pour réduire le ¼ dheure habituel de retard,
- faire un sourire aux collègues pour dire que tout va bien,
- classer les papiers, envoyer les courriers,
- rentrer dans la voiture couleur tabac froid,
- courir entre deux bouchons pour ne pas rater lheure de la garderie,
- se retrouver devant mes légumes encore vivants, pour nourrir une famille, ou un couple qui sest banalisé comme tant dautres et a oublié ses trésors perdus.
Ainsi soit-elle cette
vie !
pour en retrouver son trésor,
même si lencre reste invisible,
ou totalement illisible,
ces derniers temps
Jécris. Je continue. Demain, je recommencerai.